Le départ du Pr. Diafoirus

14 Janvyer An II PSD — Thomasus Diafoirus

Au revoir peut-être

MINUIT.

Sur Venys endormie, un grondement sourd va en s’accroissant, agitant les murs et les toits, craquelant la chaussée, suscitant la houle sur les canaux de Venys.


Les citoyens s’éveillent, les gondoles s’entrechoquent, les dahus s’agitent, et le doge s’éveille péniblement d’un sommeil plein de rêves d’avortements spontanés et de fausses couches arrangées.

Lool : Mais qu’est-ce qui se passe ? Vyvyane, ma chérie, allez-y voir ! On ne sait jamais, des fois que Schweinwald soit venu récupérer son Super-Dahu par les armes... Ce ne serait jamais que la troisième guerre ce mois-ci.

(murmurant : avec un peu de chance, elle va se casser la figure dans l’escalier, et alors plus de petit héritier, donc plus de situation litigieuse, et alors plus de mariage, et l’emmerdeuse... dehors !).

Et vyvyane de s’exécuter (après s’être rajustée, en susurrant langoureusement) : Oui mon bichounet d’amour !


Le grondement atteint une certaine ampleur et une intensité suffisante pour que des lézardes apparaissent dans les immeubles les plus pourris de Venys. Au coeur de la République Ravelinienne, Zyzy le Zazou se ramasse une brique sur le coin de la figure, qu’il a très anguleuse depuis que le BG l’a rattrappé :

"Aïe ! Ve me repens, maître, ve me repens, ve me repens, ve me repens, ve me..."


Le tremblement atteint des dimensions sismiques, faisant se déplacer le mobilier cossu des palais aristocratiques, et exploser quelques specimens de crystal d’Ark.

L’aquarium de Sappho, magnifique oeuvre rapportée par Zoë d’un ignoble bouge truc, n’échappe pas aux vibrations, et bientôt le poulpe géant s’étale sur le carrelage de la cuisine du palais Tinuviel, provoquant la convoitise d’un pit-bull égaré par là, ce qui incite Zoë à se pâmer sur le champs, la faisant tomber sur Sappho, qui s’agrippe à sa mère adoptive avec toute l’affection dont elle est capable.


L’aiguille du sysmographe dimensionnel de l’Institut des études virtuelles commence à osciller, indiquant une altération sensible du degré de réalité de Pseudopolis, proportionnelle à l’intensité du bouleversement géologique.


Vyvyane, levant les yeux au ciel, pousse un cri : Ah ! Et de s’évanouir.

Lool, plein d’espoir, se précipite sur le téléphone et compose fébrilement le numéro du Docteur de Chatelys...


Archybald de Viryon, éveillé dans son tonneau d’absynthe vidé par ses soins (il traverse une période cynique et contestataire depuis que son oncle est au pouvoir), contemple un appareil de mesure, interdit, et note fébrilement :

"Minuit et 3 minutes ; nous observons un gauchissement du continuum de Krantz-Suspyre de plus de 5 degrés sur l’échelle de Bart Sympson.

Sensationnel, tonton va être content : la modulabilité de la constante Niluje-Off-mol est démontrée, et je crois que ... !"

Au moment où il prononce ces mots, l’étalonneur du mesureur de réalité explose, alors qu’une secousse fait tomber des gravats du plafond, assommant le neveu du doge. Et l’enregystreur ne rassemble plus que les borborygmes du rejeton vyrionnien, faisant perdre au micromonde les brillantes réflexions nées de cet évènement au contact de ce jeune cerveau fertile...


La pauvre Vyvyane est d’autant plus secouée par le séisme que son futur mari et veuf potentiel a entrepris de l’agiter, dans tous les sens dans l’espoir d’accroître encore sa panique, donc son bouleversement hormonal, donc la probabilité d’une expulsion de son petit locataire.


Minuit 5.

Le grondement est maintenant assourdissant, mais les vibrations ont temporairement disparu, et le bruit commence à se déplacer, passant comme une tronçonneuse de Damoclès au dessus de la cité libre de Venys, en effectuant des cercles concentriques. La lumière de la lune est progressivement occultée, faisant hurler les pit-bulls à la mort.


Entendant cela, Lool note sur son carnet dogéal :

"Flanquer une fessée au bataillon de Sapeurs-paveurs chargés de rattrapper les pits. A priori, ils ont mal fait leur boulot". Il s’arrête un instant, la plume en l’air, tremblant dans le bordel ambiant, puis ajoute : "Se renseigner sur les procédés d’élimination des chiots, ça peut servir plus tard".


Théophraste, préoccuppé par les taches de pisse klohaco-canine sur sa façade, se dit que sans la lune ça se verra moins, et décide de se rendormir.


A cet instant, le bruit typique d’un canon pneumatique retentit. Et comme naguère lors de l’envoi à Paxatagore, un tube atterrit malencontreusement sur la tête de Vyvyane, qui sombre d’autorité dans un coma réparateur.

Fébrile, alors que les vibrations reprennent de plus belle, Lool ouvre le tube, en extrait le message, et lit :

J’avais oublié mes affaires, j’embarque de quoi travailler, désolé pour le désordre.

Pr. Th. Diafoirus,
Apatride,
Docteur en Scatologie et Tératologie,
Tryquestre de l’ordre de (Saint-)Bezoar,
Chercheur et Enseignant à l’Institut Diafoirus et Verbatim (ANCIENNEMENT basé à Venys).

PS : désolé, mais pour ce qui est de faire sauter le petit, adressez vous à de Chatelys. J’ai perdu mes forceps.

Vyvyane, émergeant réparée de son coma éclair, lit le Post Scriptum et se met à hurler :

JE L’SAVAIIIIIIIIIS ! JE L’SAVAIIIIIS QUE TU DISAIS CA POUR M’AMADOUEEEEER !"

Et elle commence à lapider Lool à coup de gravats.

Empétré dans ses plâtres, Lool ne doit son salut qu’à une contraction qui lui fait espérer une issue heureuse à son calvaire multiple.


Minuit trente.

Pensif, Paxatagore - entouré de sa cour habituelle - contemple le bassin qui porte son nom... Vide. Et à quelques mètres à l’ouest commence une curieuse excavation taillée à la serpe dans la terre venyysoise, et où s’est écoulé tout le bassin : il n’y a plus de cabinet Diafoirus, plus d’institut Systemys et Diafoirus. Il n’y a plus qu’un grand trou dans le sol, et les bâtiments voisins sont miraculeusement intacts. D’ailleurs les habitants sont tous repartis se coucher, croyant à un mauvais rêve...

L’institut Diafoirus s’est littéralement envolé, avec caves, halls et dépendances, bunker y compris, laissant la place pour construire une fosse à plongeurs. Dans le ciel, plusieurs tonnes de matériaux divers commencent à dériver lentement vers un ailleurs inconnu, suspendus à un curieux appareil en forme de marmite, relié lui-même à une espèce de Zeppelin mollasson.

Paxatagore sort un mouchoir, renifle, renifle encore. Respectant sa douleur, ceux qui l’entourent détournent les yeux, sachant combien il est grand jusque dans l’épreuve.

Profitant de cette brève période d’intimité, Paxatagore s’essuie le front, pousse un profond soupir de soulagement ; puis s’adressant à lui-même, il murmure :

"Ouf. Ca a pris le temps, mais il a fini par se barrer, le vieux taré...

J’espère qu’ils ne vont pas nous déclarer la guerre, à Orion... Ou pire, j’espère qu’ils ne vont pas nous le renvoyer..."