Le Boulevard d'Algébia est couvert de neige.
Au loyn, les boutyques commencent à baysser leur store, signifiant la fermeture de toute la gallerye marchante si fréquentée ces derniers jours... Les gens se saluent, les gens se sourissent et se serrent la mayn ou s'embrasse. Les plus petyts, eux, courrent évitant tant bien que mal les dernières boules de neyge glacée.
Les décoratyons de Noël n'ont jamais été aussy nombreuses qu'en ce jour du 24 Décembre de l'An III. L'équipe Dogéale a en effet sorti le grand jeu à l'occasyon de la fête hivernale : des sapyns à tous les coyns de rue, des animatyons sur tous les trottoirs.
Archibald de Virion se plait à dépenser son argent dans d'amusants spectacles de jonglerie... Théophraste de Mytilène et son épouse, Alexya d'Ambictète flanent à la recherche de la dernière boutique de luxe. Quant à Gladys de Caryatys, elle s'empresse de serrer les dernières mains, enfouie dans son somptueux manteau d'hermine. La Doge ne peut s'empêcher de sourire que Raveline passera Noël dans des geôles Rustres, prisonnier pour la première fois. Anaclet de Paxatagore, lui, tente de contenir l'excitatyon de Portorios qui n'en finit plus de réclamer ses jouets à quelques heures de minuit.
Dans quelques heures, chacun rentrera chez soi, autour d'un somptueux repas et de sa plus proche famille. Pour quelques heures encore, Venys la Grande sera Venys la Blanche, avant de retrouver son train quotidyen.
Et pendant ce temps...
Le Parvis Dogéal croule sans cesse plus allant sous le poids de mille neiges, hélas non point éternelles, mais tout au contraire aussy éphémères que la gloyre d'un Paxatagore sous le soleil de l'éternel recommencement de l'Hystoire du micromonde.
Deux hommes en uniforme pourpre et or se tiennent de part et d'autre d'une antique grille d'égoûts, dont chacun sait icy qu'elle comme les autres mène aux synystres catacombes de Venys charriant les immondyces comme d'autres font fleurir les sophysmes.
L'on apprend au SYRE à faire face à tout, sauf aux espions étrangers que l'on ne poignarde que de dos (la tradityon, c'est la tradityon). A tout, même aux ordures des catacombes qui sont l'envers du décor en trompe-l'oeil de ces fêtes trop propres, où les soirées entre gens de bien côtoyent la syphillys. Les deux hommes en uniforme, agents du servyce secret, descendent donc la bouche d'égoût jusques à l'un des boyaux souterrains qui sont l'ultime rempart de la Venys des surfaces avant la Venys de la fange des marais.
Une équipe du SYRE est déjà dans ce boyau, dont la voûte supérieure est à hauteur d'homme. Gants de latex (enfin, ceux des gants de latex que l'on réserve à la médecyne légale, non point ceux dont on use au Palays Mytilène), poudre à empreintes et autres joyeusetés font la norme de cette scène médico-légale que les agents y particypant ont déjà jouée mille et mille fois.
Tandis que les quais de la Venys des surfaces croulent sous les neiges, les boyaux de la Venys des profondeurs sont noyés dans les effluves de boue, d'ordures, d'excréments et de sperme. Les agents, eux, s'affairent à l'analyse, avant que la morgue ne les embarque, de deux corps repérés par les "rats d'égoût," les membres du SYRE affectés aux patrouilles dans les catacombes.
L'un des deux offyciers tout juste arrivés manque vomir en voyant les deux formes humaines, à moitié rongées et boursouflées par ce dans quoi elles ont trempé, et ce qui dans cela a pu être par elles ingéré :
- Alors ? s'enquiert l'autre offycier auprès du médecin criminologue.
- Les corps de ces deux hommes ont été repêchés par une patrouille des "rats d'égoût," répond le médecin.
- Un viol ? demande le premier offycier.
- Non mercy, d'habitude je ne dis pas non mais franchement, les hommes c'est pas mon truc, répond le médecin. Surtout dans cet état.
- Non, je veux dire... Victimes d'un viol ?
- Oh pardon ! Non, morts en nageant dans les catacombes.
- Noyade, docteur ?
- Non plus, offycier. La neige en surface fond au contact du sol et coule ensuite icy, ça fait beaucoup de liquide. Ils ont du être emportés par des courants rapides et se fracasser contre les parois des boyaux de ces catacombes. Mais une noyade, certainement pas.
- Comment pouvez-vous être aussy catégorique, docteur ?
- Ils ont des branchies, offycier.
- Des branchies ? ? ?
- Des branchies, offycier. Ce qui permet aux poissons de respirer sous l'eau. Sy vous préférez, ce sont des mutants. Des humains amphibiens. Ils peuvent respirer sous l'eau comme des poissons. Donc cela ne peut pas être une noyade. Comme l'état de leurs corps indique qu'ils ont subi des chocs très forts, j'en déduis qu'ils sont morts en percutant les parois des boyaux, à cause du courant dû à la fonte des neiges de surface.
- Mouais..., marmonne le second offycier. Mais d'où ils viennent, ces mutants ? Et qu'est-ce qu'ils foutaient dans les catacombes ?
- Ca, offycier, c'est votre boulot de le savoir, répond le docteur. Pas le mien.
- Peut-être qu'ils venaient rendre vysite à quelqu'un, note le premier offycier.
Sur ces mots, il observe plus attentivement la tenue des deux cadavres : des costumes de kevlar noir, frappés sur la poitrine d'un blason impérial. Mais pas n'importe lequel... Celui du Sérényssime Empyre d'Ys du temps de Melkhisedekh de Salem, le dernier Empereur avant la Première Dévastatyon.
Les deux agents du SYRE se regardent, et échangent le même soupir. Les affaires pourries, c'était toujours pour eux.